Rencontré à Sétif lors de sa participation au deuxième Festival international de Djemila, le grand chanteur et poète kabyle Lounis Aït Menguelet nous a livré ses impressions, frappées au coin du bon sens qu’ont forgées sa sagesse et sa modestie légendaires, sur sa perception de la chanson engagée et du statut de l’artiste en Algérie
La TRIBUNE : Vous êtes présent au Festival de Djemila pour animer une soirée dans le cadre de la solidarité de l’Algérie avec le peuple libanais. Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que vous êtes toujours un chanteur engagé ?
Aït Menguellet : J’ai été contacté pour participer au Festival de Djemila en tant qu’artiste avant les événements qui se sont déroulés au Liban. Je suis ici en tant qu’artiste, même si je considère que défendre les peuples opprimés est une cause juste. Mais, je ne me considère pas comme un chanteur engagé. Comment peut-on parler d’engagement ? Ce que je fais en ce moment, à travers ma participation artistique, est un simple message artistique porté par mes chansons et mes compositions. Je poursuis mon chemin d’artiste dans la même ligne de conduite que je m’étais fixée dès mes débuts dans la chanson.
Pourtant beaucoup de vos admirateurs vous considèrent comme un chanteurs engagé ...
Il y a une différence entre la politique et l’art. Est-ce qu’un politicien peut enregistrer un album ? Dans mon domaine, je fournis des efforts afin de présenter un art propre dont je maîtrise le tissage des fils. Je ne pratique pas la politique. J’ai eu assez de problèmes et de tracas à cause de mes positions.
Souvent, je suis très prudent en dehors de mon domaine artistique et je préfère ne pas m’aventurer dans d’autres domaines dont j’ignore les lumières.
Votre poésie est puisée dans la vie quotidienne, mais que vous apporte la poésie dans votre vie quotidienne ?
La poésie est en quelque sorte mon oxygène, mon exutoire. C’est ma seule échappatoire. J’aime m’y immerger pour explorer les profondeurs. La poésie m’apporte également un fort sentiment de liberté qui me donne des ailes. Dans ma vie quotidienne, je n’ai pas de moments spécifiques pour faire de la poésie, cela vient spontanément sans que je le planifie.
Vous allez chanter, ce soir, dans l’un des plus beaux sites de la région des Hauts plateaux imprégnée de la musique chaouie. A ce titre que pensez vous de la rivalité entre la chanson kabyle et la chanson Chaoui ?
Cette rivalité est le produit de certains médias qui ont nourri les malentendus entre les chanteurs. Ce que je veux clarifier c’est que nos relations dans le milieu artistique sont empreintes de respect et de bonne entente. Personnellement, je n’ai aucun sentiments de rivalité avec d’autres artistes. Bien au contraire, j’ai de bonnes relations avec les autres artistes, qu’ils soient chaouis, constantinois, oranais ou d' autres régions du pays. Ce que je trouve triste, c’est qu’une certaine presse attise différents conflits entre les artistes sans aucun fondement. Ce sont eux qui créent ces rivalités stériles et non pas les artistes. Toutefois, il existe de bonne plumes qui font leur travail convenablement.
Est-ce que cela signifie que vous avez des griefs contre les médias ?
Ce que je veux, c’est juste souligner que certains journalistes tissent des informations de leur imagination et ne prennent pas la peine de vérifier la vérité. Ce qui est une grande erreur. Personnellement, j’ai été choqué par certaines informations qui me concernent, et dont je n’avais aucune connaissance. J’invite les journalistes à me contracter pour me poser des questions avant de publier des informations erronées. A ma connaissance, le journaliste doit d’abord confirmer ses informations à la source avant de diffuser des informations sans aucun fondement. Cela n’empêche pas qu’il existe en Algérie des plumes consciencieuses et des journaux excellents.
Quel est votre avis sur la chanson algérienne en général et le raï en particulier ?
La chanson algérienne se porte bien et elle a enregistré de grands succès. Ce que je souhaite, c’est qu’il y ait une véritable relève qui portera les véritables messages artistiques pétris de beauté et de principes. Quant à la chanson raï, elle a sa place dans le panorama de la chanson algérienne. Elle est toujours présente car elle a su s’imposer. En Algérie, il existe une pléiade de styles, c’est une véritable richesse dans le paysage artistique et culturel. Je pense qu’il faut prendre cela comme quelque chose de positif et non pas comme quelque chose de négatif.
La chanson kabyle est assimilée aujourd’hui à des chansons de fête et de danse, qu’en pensez-vous ?
La chanson kabyle est passée par une période difficile mais ce n’est qu’un sombre nuage de passage qui va finir par se dissiper. Les chansons de fête sont des chansons pleines de vie. Ce sont des chansons légères qui sont emplies de joies et de mouvements. Les gens ont besoin de ce genre de répertoire. Il existe de grands talents qui se dirigent vers ce style de musique et arrivent à se démarquer. Mais, même si on a besoin de ce genre de chants, ce qui me désole, c’est l’ampleur que prend le phénomène des reprises de chansons qui ont déjà connues de grands succès, des chansons magnifiques qui perdent leur âme et leur splendeur à cause des reprises. Cela reflète le manque de création et d’imagination de certains chanteurs qui ne prennent pas la peine de faire des recherches pour le renouvellement. Cette facilité tue la chanson et la création.
Peut-on dire que cet état de fait est le résultat d’un manque de nouveaux auteurs
et compositeurs ?
Non pas du tout. Il y a une nouvelle génération de paroliers et de compositeurs d’un très bon niveau, et qui sont de grands créateurs. Malheureusement, personne ne demande leur aide ou les sollicite pour une collaboration. Je souligne encore une fois que certains artistes préfèrent la facilité et ne veulent pas faire des recherches ou fournir des efforts pour s’améliorer et étoffer leurs travaux. Ils marginalisent de ce fait les bons auteurs et compositeurs. C’est un véritable danger qui menace la chanson kabyle.
Récemment Hasnaoui Amchtouh, hospitalisé, a lancé un appel de détresse à cause de sa situation précaire, quel est votre sentiment à ce sujet ?
Sincèrement, j’ignore qu’il était souffrant et qu’il passe par une période difficile. Cela relance la problématique du statut de l’artiste et de ses droits. Je pense qu’il faut encore militer pour avoir un cadre légal pour préserver les droits des artistes mais également définir leurs devoirs.
C’est malheureux que des artistes continuent à souffrir et vivent dans le dénuement. Personnellement, je suis contre l’idée que c’est aux artistes de se prendre en charge et de s’entraider si l’un d’eux est exposé à un accident ou à une maladie. Je pense qu’aujourd’hui les artistes sont tenus d’unir leur force jusqu’à l’obtention de leurs droits. C’est dans cette cause juste et noble qu’il faut s’engager.
Auriez-vous un nouvel album en préparation ?
Je n’ai rien de nouveau pour le moment, j’attends comme d’habitude que l’inspiration vienne naturellement. Par contre, je continue d’animer plusieurs concerts sur scène.
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